Au commencement était la couleur. La couleur était verbe mais les hommes ne le savaient pas. » … dans le noir d’encre de la nuit, la voix de Marlowe fit surgir sur la véranda désertée le spectre des destins accomplis… « .
Odeur de terre brûlée. Zanzibar fond comme un abricot dans la bouche en été.
» … au fond de la jungle ils vous offrirent du poisson et du riz dans un pneu de caoutchouc déchiqueté « .
Dents blanches sur le noir de la nuit. Terre et ciel et mer. Enlacés.
Frontières incertaines entre les éléments mélangés. Bleu-vert des limites brouillées. Bleu. Dans lequel on n’en finit pas de se noyer.
Portes sculptées … Portes qui enclosent milles histoires chuchotées. Portes qui enferment les rires et les pleurs des vies écoulées. Portes qui emprisonnent les fantômes de ceux qui sont morts en mer d’Orient. Portes aux saveurs d’épices et d’essences rares.
Incandescence des jours. Rouge poussière. Ocre écrasé. » …Sur une civière un homme s’éteint à même le sol du port de Marseille. Dans ses yeux dansent des voyelles. Le bateau qui l’a ramené se balance doucement dans la clameur du port. Sur une civière dans le port de Marseille, la couleur s’est faite chair… « .
Posée sur le sol de l’atelier, la toile, porte d’un univers qui n’arrête pas de se dérober à l’œil attentif du voyageur obstiné. En attendant de toucher Terre, sonder la profondeur des eaux.
Voyage. Dans la clameur des bleus, la touffeur humide des verts, la magnificence des écarlates, des incarnats, des vermillons, l’incandescence des jaunes.
Voyage. Sur la mer des récits hurlés par les alizés.
Voyage. Dans un temps d’avant, celui où les mots étaient images et sensations.
La couleur est un chemin de traverse dans la jungle du discours.
La lumière est mot.
Sous les yeux de l’artiste, la toile, immensité d’une plage dont la blancheur brûle le regard, attend l’arrivée de la marée qui brouillera les contours, abolira les frontières, oblitérera les espaces.
Par le travail de l’artiste, presque malgré lui, la toile se déploie, charrie une cargaison de trésors enfouis.
Dans le geste de l’artiste étalant la couleur sur la toile, l’infini des paysages, la multiplicité des possibles. Surgissent alors les traces de mille vies à coup de superpositions.
Route des épices. Ports où arrivent les soies et les bois aux essences rares.
Gonflement des voiles sous le vent. Absolu des mers. Vanité des terres.
Lenteur des sons sous la chaleur. La toile résonne de clameurs.
Posée sur le sol de l’atelier, la toile, carte géographique de chemins qui ne mènent nulle part.
Si ce n’est au questionnement de notre humanité.
Nancy Guilmain, 2007