Makunduchi
Les peintures « Makunduchi » forment une série qui prend sa source dans l’évocation d’un événement particulier.
La fête de Makunduchi sur l’île principale de l’archipel de Zanzibar revient annuellement et marque, à l’occasion de chants et de combats, la fin de l’hiver.
Ici s’affrontent une fois par an deux villages locaux situés au nord de l’île, à quelques centaines de mètres de l’Océan Indien.
Depuis des temps immémoriaux, un rituel d’origine zoroastrienne règle le déroulement de cette bataille.
Ce combat est symbolique et rédempteur. Il est supposé aplanir les différends entre les deux communautés, et effacer les litiges ayant vu le jour durant l’année écoulée.
Y participent en grand nombre les Zanzibaris. Ce peuple qui parle le Swahili, est en majorité musulman et est le fruit du mélange des conquêtes et aventures de l’Histoire.
Des ethnies de Perse, d’Inde ou d’Arabie re-émergent souvent à l’aune de leur dilution millénaire dans ces visages africains de la mer, résultant des destins mêlés d’autant de pirates, de sultans ou de trafiquants, s’étant un jour arrêtés à Zanzibar le temps d’une escale ou d’une vie.
Lorsque le soleil est au zénith et que les spectateurs sont agglutinés autour du terrain de terre rouge, le signal du commencement est donné par l’arrivée d’une petite troupe forte d’une quarantaine d’hommes, qui trottine au pas de course, soulevant au passage un nuage de poussière. Leur chef de file lance un cri, qui est repris en chœur par la troupe.
Les uns portent des survêtements de sports aux couleurs fluo défraîchies, les autres se sont fait une cape d’une couverture, d’autres encore se sont emmitouflés dans des sacs de jute fixés par des cordages ou ont le corps recouvert de tissus traditionnels rembourrés d’un mélange de chiffons et de papiers froissés.
Les têtes sont le plus souvent protégées par d’impensables couvre-chefs, improvisés au départ de chiffons, de bonnets rembourrés ou d’objets aussi hétéroclites dans leurs matières ou leurs couleurs qu’une passoire en laiton pour l’un, un saladier en bois ou un casque de moto en liège pour d’autres…
Presque tous les hommes entre quinze et trente ans ont à la main une trique de bambou, effilochée à l’un de ses bouts, dont la destination belliqueuse ne fait guère doute.
La petite troupe à peine disparue, en surgit une autre, puis une autre encore.
Déboulent à présent, par groupes d’une cinquantaine, les femmes, mère opulentes et filles à peine nubiles, vêtues du kanga chatoyant ou du sari indien, vociférant leur chant, visant le plus souvent à mettre en doute la virilité des combattants du clan adverse. Car ceux-ci, on le sait, seront aussi, la nuit venue, les prétendants d’autant de nouvelles fiançailles.
Débute alors une joute furieuse et généralisée. Quelques centaines de participants commencent à se battre deux par deux, à grands coups de trique de bananier.
Cela se déroule dans de grands nuages de poussière, sous le regard d’arbitres plus âgés, c’est à dire plus sages, qui virevoltent entre les duels en cours, et mettent d’un geste impérieux le holà aux combats trop violents.
C’est une danse d’agression, d’esquive et de coups d’audace, dont le but est d’asséner à l’adversaire le plus grand nombre de coups de trique, jusqu’à lui faire rendre grâce.
Les couples se font et se défont au fur et à mesure des victoires ou des défaites, chaque lutteur repartant aussitôt en quête d’un nouveau partenaire de combat, également esseulé par l’issue de son précédent engagement.
Le tout virevolte et crée un diagramme, où se cassent et se recomposent des liens à l’infini. Se confrontent alors les couleurs et les matières en une énergie régénératrice.
De même, les peintures de la série Makunduchi montrent le souci de Fournal pour l’idée du tissage de liens multiples dans la plasticité du tableau.Les textures sont ici structurées de plus en plus finement et élaborent un jeu de trames interactives, auxquelles contribuent de manière égale couleur et matière.